La Sécurité sociale fait face à un déficit historique, avec des prévisions qui dépassent désormais les 25 milliards d’euros à l’horizon 2025. La retraite, les dépenses de santé et la hausse des dépenses liées au vieillissement pèsent de plus en plus sur l’équilibre financier du système. Dans ce contexte, les discussions autour d’un « nouveau modèle » se multiplient, qu’il s’agisse d’augmenter les recettes ou de rénover en profondeur la façon dont on finance et on gère la santé. Les pharmaciens, à l’interface entre le patient et le système de soins, seront-ils amenés à jouer un rôle encore plus central ?
1. Un déficit creusé par la crise politique et les enjeux structurels
Rejet du PLFSS et retard législatif
Le rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à l’automne 2024, suivi de la chute du gouvernement Barnier, a bloqué plusieurs mesures d’économies (hausse du ticket modérateur, freins sur la progression des retraites…) qui auraient dû alléger le déficit. Résultat :
- Les pensions augmentent de 2,2 % au lieu des 0,8 % initialement prévus.
- L’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) a été relevé à +3,3 % pour 2025, contre +2,8 % auparavant.
- Les gains attendus (environ 900 millions d’euros sur certains médicaments et consultations médicales) ont été abandonnés.
Au total, c’est près de 9 milliards d’euros de dérapage supplémentaire pour la Sécurité sociale, auquel s’ajoutent les causes structurelles : vieillissement de la population, maladies chroniques et innovations médicamenteuses coûteuses.
Des alertes venues de toutes parts
- Cour des comptes : Dès novembre dernier, elle pointait « l’impasse de financement » qui menace la Sécurité sociale en l’absence de mesures « ambitieuses et cohérentes**.
- OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) : Ses rapports soulignent que la France consacre déjà une part élevée de son PIB aux dépenses de santé, tout en faisant face à une hausse plus rapide que la moyenne européenne des pathologies liées à l’âge.
2. Les pistes de réforme : entre hausse des cotisations et révolution préventive
Option 1 : Augmenter les recettes pour maintenir le modèle actuel
Pour des économistes comme Nathalie Coutinet, la solution serait de revaloriser les cotisations sociales, afin d’assurer la soutenabilité du système sans briser la solidarité nationale. Un récent sondage Ipsos montrait d’ailleurs que l’accès aux soins est devenu la préoccupation n°1 des Français, suggérant qu’une hausse modérée des cotisations serait « acceptable » si elle s’accompagne d’une baisse des tarifs des mutuelles et d’une meilleure prise en charge des soins.
« Les Français payent déjà davantage leurs complémentaires santé, cela reviendrait au même s’ils payaient un peu plus de cotisations pour sauver un système au bord de l’asphyxie. » – Nathalie Coutinet
Option 2 : Changer de paradigme vers un modèle préventif
À l’inverse, Frédéric Bizard, fondateur de l’Institut Santé, estime que « le modèle est arrivé en bout de cycle ». Selon lui, l’équilibre financier ne peut plus être rétabli par de simples ajustements. Il préconise une réforme en profondeur, axée sur la prévention et la santé globale, plutôt que sur un soin principalement « curatif ».
« Comme on accompagne les actifs pour éviter le chômage, nous devons accompagner les citoyens pour rester en bonne santé. » – Frédéric Bizard
3. Le pharmacien au centre des évolutions
Des missions déjà élargies
Depuis une dizaine d’années, la pharmacie d’officine a connu d’importantes mutations : vaccination antigrippale, TROD (Tests Rapides d’Orientation Diagnostique), bilans de médication, suivi des maladies chroniques… La rémunération du pharmacien s’est en partie déconnectée du prix du médicament pour s’orienter vers des honoraires de dispensation et des actes de prévention.
- Exemples : Campagnes de vaccination contre la grippe, conseils renforcés pour l’observance, dispensation adaptée, etc.
- Résultat : Cette évolution a permis de diversifier les revenus de l’officine et de répondre à des besoins de santé publique.
Nouvelles responsabilités si le système bascule
Dans un modèle davantage tourné vers la prévention, le pharmacien pourrait voir son rôle renforcé :
- Suivi personnalisé : Organisation de dépistages ciblés pour détecter précocement les pathologies (hypertension, diabète, etc.).
- Coordination territoriale : Coopération accrue avec les médecins, infirmiers, kinés, etc. pour construire des parcours de soins cohérents.
- Santé numérique : Utilisation plus poussée d’outils digitaux (télémédecine, e-prescription) pour fluidifier les échanges d’information et améliorer le suivi des patients.
- Éducation à la santé : Accompagnement dans la gestion du poids, de la nutrition, du tabagisme, etc. Le pharmacien, professionnel de proximité, est bien placé pour déployer ces actions de santé publique.
4. Vers une « révolution » du métier ?
Si la situation budgétaire perdure, il est probable que le gouvernement élargira encore les missions du pharmacien. L’Assurance maladie, dans son rapport « Charges et produits pour 2025 », évoque d’ailleurs plusieurs pistes :
- Dépistages systématiques (cardiovasculaires, respiratoires, nutritionnels) dans les officines pour les populations à risque.
- Promotion de la santé numérique : ordonnances dématérialisées, suivi en temps réel des parcours patients via Mon Espace Santé.
- Nouvelles expertises : orientation vers des services spécifiques (soins de premier recours, petits actes de télémédecine).
Ces évolutions, combinées à une éventuelle réforme profonde de la Sécurité sociale, pourraient transformer la pharmacie en véritable carrefour de la prévention, au-delà de la délivrance de médicaments.
5. Quel horizon pour 2025 et au-delà ?
Plusieurs points de blocage subsistent :
- Incertitudes politiques : Le rejet du PLFSS a souligné la difficulté de faire adopter des mesures pouvant être perçues comme « restrictives » ou « coûteuses » pour les patients.
- Contraintes financières : Toute extension du rôle du pharmacien requiert un financement (honoraires, formation, équipements), dans un contexte de déficit grandissant.
- Acceptation sociale : Les Français restent attachés à leur protection sociale, mais pourraient réclamer des mesures plus ambitieuses (hausse des cotisations ? refonte totale du système ?) pour en préserver l’esprit.
Ce qui est certain : les pharmaciens sont en première ligne pour observer les lacunes actuelles du système (pénuries de médicaments, inégalités d’accès aux soins), et leur champ d’action continuera de s’adapter aux besoins du terrain.
Conclusion : un nouveau cap ou de simples ajustements ?
Alors que la Cour des comptes et de nombreux experts pointent la nécessité d’une remise à plat, deux scénarios se dessinent :
- Le scénario du “maintien” : Augmenter les cotisations, rééquilibrer les flux de financement vers la Sécurité sociale, renforcer le rôle du pharmacien dans un cadre similaire à celui existant.
- Le scénario de la “révolution” : Repenser la Sécurité sociale autour de la prévention et de la santé globale. Dans ce cas, le pharmacien deviendrait un acteur pivot au sein d’un écosystème territorial, partageant un pouvoir décisionnel avec d’autres professionnels, et pilotant de nouvelles missions de santé publique.
Dans les deux cas, la pharmacie d’officine – lieu de proximité et de conseil – verra son périmètre d’intervention s’élargir. Les pharmaciens ont déjà amorcé cette transition, et il leur faudra sans doute se former et innover davantage pour jouer pleinement leur rôle dans le système de santé de demain.
Références externes :
- Cour des comptes, rapport sur les finances de la Sécurité sociale (novembre 2024)
- OCDE, “Health at a Glance: Europe”, édition 2023
- Sondage Ipsos (décembre 2024) sur les préoccupations des Français en matière de santé
- Institut Santé, projet de réforme préventive du système de soins